MÉMOIRE DE LA CAMPAGNE COLOUR OF POVERTY
ET LA METRO TORONTO CHINESE &
SOUTH EAST ASIAN LEGAL CLINIC
Sommaire
La marginalisation croissante des communautés
racialisées de l’Ontario entraîne une racialisation marquée de la pauvreté. Il
incombe au gouvernement fédéral d’assumer le leadership pour s’attaquer au
problème en élaborant un plan national détaillé de réduction de la pauvreté. Le
gouvernement fédéral doit aussi augmenter ses revenus en relevant l’impôt des
sociétés et des particuliers qui sont dans la fourchette d’imposition
supérieure pour payer les services et programmes nécessaires aux personnes qui
vivent dans la pauvreté. En dernier lieu, le gouvernement fédéral devrait
recueillir des données non regroupées et en faire le suivi afin de dégager les
désavantages racialisés et autres problèmes structurels et systémiques, en
fonction de buts ainsi que de repères et d’indicateurs précis, pour contrôler les
progrès du plan de réduction de la pauvreté.
I. Les organismes
La campagne Colour of Poverty/Colour of
Change (COPC) est une initiative panprovinciale qui regroupe des
particuliers et des organismes qui s’efforcent de renforcer les capacités des
collectivités face au problème de la racialisation croissante de la pauvreté et
des niveaux supérieurs d’exclusion sociale et de marginalisation qui en
découlent dans les communautés racialisées de l’Ontario. La campagne Colour
of Poverty instaure des stratégies, des outils, des initiatives et une
capacité communautaire par l’entremise de particuliers, de groupes et d’organisations
(notamment des représentants des collectivités racialisées concernées) pour
mieux définir des plans d’action commune cohérents et efficaces ainsi que des
stratégies coordonnées et pour améliorer la collaboration en vue de corriger
les inégalités ethnoraciales structurelles et systémiques de plus en plus
importantes dans la province.
La Metro Toronto Chinese & South East
Asian Legal Clinic (MTCSEALC) est une clinique communautaire qui offre
des services juridiques gratuits aux membres à faible revenu des communautés
chinoises, vietnamiennes, cambodgiennes et laotiennes de la région de Toronto. Établie
en 1987, la MTCSEALC est maintenant l’un des principaux défenseurs des
immigrants et des groupes racialisés, en particulier les personnes à faible
revenu, et s’efforce de promouvoir leurs droits et leurs intérêts sociaux,
politiques et économiques en Ontario. La MTCSEALC est également un membre fondateur
de la campagne Colour of Poverty.
II. Rôle du gouvernement fédéral dans la réduction de la pauvreté des communautés racialisées et d’autres groupes défavorisés.
Il est maintenant établi qu’en Ontario, l’écart s’élargit
entre les riches et les pauvres, mais un phénomène connexe, soit le fait que
l’incidence de ce fossé de plus en plus important est beaucoup plus fortement
ressentie par les membres des groupes racialisés (c.-à-d., Autochtone ou
Premières nations et communautés de couleur) est considérablement moins bien
compris.
Par exemple, un rapport récent du Wellesley
Institute et du Centre canadien des politiques alternatives confirme qu’un
« codage couleur » empêche les membres de minorités visibles d’accéder
à des emplois intéressants sur le marché du travail au Canada. Les auteurs de
ce rapport révélaient que les travailleurs canadiens membres de minorités
visibles gagnaient 81,4 ¢ pour chaque dollar payé à leurs homologues
blancs.
En se fondant sur les données du recensement de 2006,
les chercheurs ont constaté que les revenus des nouveaux arrivants de sexe
masculin qui sont membres de minorités visibles représentaient seulement 68,7 p. 100
de ceux des hommes de race blanche. Le rapport confirme également que ce codage
couleur s’applique aussi aux Canadiens de deuxième génération qui ont la même
éducation et le même âge, même si l’écart se rétrécit légèrement – les femmes membres
de minorités visibles touchent 56,5 ¢, ce qui représente une augmentation relativement
à 48,7 ¢ en 2000, pour chaque dollar gagné par les hommes blancs, tandis
que les hommes membres de minorités dans la même cohorte ont repris près de 7 ¢
et reçoivent 75,6 ¢.
En 2006, pendant le boom économique, les membres
de minorités visibles avaient un taux de chômage de 8,6 p. 100, contre
6,2 p. 100 pour les Canadiens de race blanche. Plus troublant encore,
ces minorités visibles étaient sous-représentées dans l’administration
publique, où 92 p. 100 des travailleurs étaient de race blanche.
La racialisation croissante – le codage
couleur – de tous les grands indicateurs sociaux et économiques
transparaît non seulement dans les statistiques sur le revenu et la richesse,
mais aussi dans divers autres indicateurs : inégalités en matière d’état
de santé et de réussite scolaire, taux supérieurs de décrochage ou d’expulsion
des élèves racialisés, accès inéquitable aux occasions d’emploi et
surreprésentation dans les emplois mal rémunérés et précaires où les droits des
travailleurs sont souvent mal protégés, sinon pas du tout, taux élevés de
logements inadéquats et d’itinérance, réémergence des enclaves résidentielles
racialisées imposées et tendance croissante à traiter les gens différemment selon
leur race ou leur origine ethnique en fonction de politiques ciblées, car les
hommes et les femmes autochtones et de couleur sont de plus en plus
surreprésentés dans les prisons de l’Ontario. Tous ces problèmes sont le fruit de
l’exclusion sociale et économique ancienne, mais plus marquée aujourd’hui, des
groupes racialisés relativement à la société dominante.
Face à ces dures réalités, il est impératif que
les dirigeants politiques de tous les ordres de gouvernement cherchent à
réduire, voire à éradiquer, la pauvreté en envisageant directement des mesures
pour mettre fin à une pauvreté qui se caractérise par sa nature de plus en plus
racialisée ou autrement distincte.
Les Canadiens ont instamment besoin d’un plan
national détaillé de réduction de la pauvreté intégrant un large éventail
d’initiatives universelles et assorti de mesures ciblées pour s’attaquer aux
sources sous-jacentes de vulnérabilité qui exposent les communautés racialisées
et d’autres communautés défavorisées à une pauvreté plus profonde.
Plus important encore, tout plan national de
réduction de la pauvreté doit reconnaître et combattre la pauvreté racialisée.
Recommandation 1 : Le gouvernement
fédéral doit assumer le leadership et reconnaître et supprimer les obstacles
systémiques à l’inclusion ainsi que la persistance de la discrimination
raciale. À cette fin, il faut élaborer et mettre en œuvre une stratégie
nationale de réduction de la pauvreté assortie de mécanismes ciblés, d’échéanciers
et d’indicateurs des résultats et adopter une mesure de l’égalité raciale pour
évaluer l’ensemble de ses lois, programmes, politiques publiques et décisions
budgétaires.
III. Renforcer la capacité du gouvernement fédéral de lutter contre la pauvreté
En cette période d’austérité, les politiciens de
toutes les allégeances, à tous les niveaux de l’administration publique, essaient
de convaincre les Canadiens que les gouvernements doivent renoncer à gouverner
en raison de leur déficit budgétaire. Les Canadiens entendent constamment que
la seule façon de combler ce déficit consiste à réduire les services publics et
le financement des biens publics, qu’il s’agisse des bibliothèques municipales,
de l’aide juridique provinciale ou des services de garde d’enfant au niveau
fédéral. Les politiciens eux-mêmes reconnaissent toutefois que les services qu’ils
envisagent de réduire ou d’éliminer sont des « services de base »
dont les Canadiens ont besoin pour rester en santé et maintenir leur niveau de bien-être
ou pour encourager le développement d’une société inclusive et démocratique
comme la nôtre.
Mais alors même qu’on demande aux Canadiens de consentir
des sacrifices personnels au nom de la réduction du déficit, les sociétés et
les personnes à revenu élevé sont de moins en moins tenues de partager leurs
profits puisqu’elles ont droit à des réductions constantes de l’impôt des
sociétés et peuvent utiliser des échappatoires fiscales. Ces réductions d’impôt
et ces dégrèvements fiscaux expliquent directement un phénomène
indéniable : les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent.
Comme preuve de ces inégalités croissantes, il suffit d’examiner les données du
recensement de 2006 publiées par Statistique Canada pour constater qu’entre
1980 et 2005, le revenu moyen des personnes au sommet de l’échelle salariale au
Canada a augmenté de plus de 16 p. 100 tandis que celui du cinquième le
plus bas diminuait de 20 p. 100.
Le coût annuel des réductions d’impôt des sociétés
qui ont été adoptées au cours des deux derniers mandats du gouvernement ou
qui sont prévues atteindra 14,2 milliards de dollars d’ici l’exercice 2012-2013.
Si le gouvernement du Canada disposait de cette somme, il serait nettement plus
en mesure d’appuyer les importants services publics dont ont besoin tous les
Canadiens, et plus particulièrement ceux qui sont au bas de la pyramide
économique.
Les recettes fiscales en constant déclin réduisent
directement la capacité du gouvernement fédéral d’offrir ou de financer des
programmes essentiels aux membres des communautés les plus marginalisées du
Canada. Des programmes dans les domaines du logement abordable, de la garde
d’enfants, des questions féminines et des communautés défavorisées ainsi que
des programmes précis visant à promouvoir l’égalité, y compris le programme de
contestation judiciaire, etc., ont tous vu leur financement réduit ou
entièrement éliminé.
Pour mieux illustrer le caractère incohérent et inique
de ces politiques économiques, disons que le Caledon Institute estime que la
prestation fiscale pour enfant du Canada pourrait être portée à
5 000 $ par enfant à un coût annuel de quatre milliards de
dollars. Il est clair que la limitation des ressources publiques fédérales découlant
des réductions d’impôt – mises en œuvre ou à venir – contribue
effectivement au retrait du gouvernement fédéral de tous les secteurs de
dépense publique.
Comme les communautés racialisées de l’Ontario
sont considérablement surreprésentées parmi les pauvres, elles seraient plus
susceptibles de bénéficier de ces services publics, s’ils étaient adéquatement
financés. La priorité accordée aux réductions de l’impôt des sociétés et des
particuliers a produit et continuera de produire des effets négatifs plus
marqués pour ces collectivités.
L’an dernier, le gouvernement écossais a commandé
une étude relative à l’incidence de la réduction des services publics sur les
groupes vulnérables. Intitulé Equalities Budget Report, cet examen basé
sur les faits a été mené par l’Employment Research Institute, à
l’Université Napier à Édimbourg. L’objectif global était d’examiner et de
résumer les preuves de l’effet d’une réduction des dépenses sur les groupes cibles
de l’égalité, en Grande-Bretagne et dans le monde. L’accent portait sur la
preuve de ce qui s’est passé, mais les auteurs prennent bonne note des
estimations de ce qui pourrait survenir à l’avenir en raison des compressions des
dépenses.
Voici l’essentiel des principales conclusions du
rapport :
· Les groupes cibles de l’égalité sont
particulièrement vulnérables aux compressions des dépenses publiques non
seulement parce qu’ils sont bien représentés au sein de la main-d’œuvre du
secteur public, mais aussi parce que ce sont d’importants utilisateurs des
services publics.
· Les particuliers peuvent faire partie de divers
groupes cibles de l’égalité, ce qui accroît leur vulnérabilité aux compressions
des services publics. Par ailleurs, les compressions dans un secteur peuvent
influer sur d’autres groupes cibles de l’égalité.
· Certaines personnes sont particulièrement
vulnérables à toutes les compressions, tant à titre d’employés du secteur
public que d’utilisateurs des services publics.
· Les effets des compressions des dépenses
publiques seront ressentis par ceux qui travaillent pour les organisations
communautaires ou qui utilisent leurs services, indépendamment des secteurs.
Comme les gouvernements continuent d’adopter des mesures
d’austérité, les membres de communautés racialisées ou autrement défavorisées
continuent de supporter la plus grande part du fardeau que représentent les
compressions des services publics.
Recommandation 2 : Le gouvernement fédéral
devrait non seulement annuler certaines des réductions d’impôt qui ont été
accordées jusqu'à maintenant, mais aussi relever l’impôt des sociétés et
l’impôt des particuliers qui gagnent le plus, pour accroître ses revenus afin
de pouvoir offrir les services et programmes nécessaires à tous les Canadiens, et
en particulier à ceux qui vivent dans la pauvreté.
VI. Mesure, indicateurs, et rapport sur les contributions du gouvernement fédéral à la réduction de la pauvreté
Sauf dans le cas de Toronto, il existe très peu de
données et d’études dans les collectivités du pays au sujet de la racialisation
de la pauvreté. Par exemple, les initiatives fédérales visant à accroître la
participation aux régimes de la Sécurité de la vieillesse (SV) et du Supplément
de revenu garanti (SRG) sont souvent présentées comme des exemples de réussite dans
le domaine de la réduction de la pauvreté chez les personnes âgées. Pourtant, personne
ne sait dans quelle mesure ces régimes profitent aux personnes âgées des
communautés racialisées. Nous ignorons également si les personnes âgées originaires
de certains pays se heurtent à des obstacles systémiques lorsqu’elles tentent
de toucher ces prestations et si les membres des communautés racialisées ont vu
leurs conditions de vie s’améliorer en conséquence.
Faute de données non regroupées, le gouvernement
fédéral ne peut pas dresser de tableau complet de la population pauvre ni
déterminer en quoi elle est touchée par les politiques et programmes
gouvernementaux. En l’absence de telles données, le gouvernement est également incapable
de calculer le coût « par défaut » de son inaction, d’un point de vue
tant économique que social.
Le COPC et ses partenaires aimeraient donc
formuler la recommandation suivante à l’intention du Comité permanent :
Recommandation 3 : Le gouvernement fédéral
devrait recueillir et analyser des données non regroupées dans tous les
ministères et établissements pertinents afin de cerner les désavantages
racialisés et autres problèmes structurels et systémiques. En matière de pauvreté,
il nous faut élaborer et utiliser des définitions et des indicateurs clairs et
communs pour pouvoir brosser un tableau complet de la population pauvre dans
notre province et définir des buts et des repères et indicateurs précis applicables
à tous les secteurs afin de surveiller le marché du travail pour y repérer les
différences de traitement et contrôler les progrès de tout plan de réduction de
la pauvreté en fonction des communautés racialisées et des autres communautés
historiquement défavorisées et marginalisées.
V. Conclusion
Les Canadiens s’attendent à ce que leurs
gouvernements interviennent de façon déterminante pour offrir un filet de
sécurité à tous les Canadiens, et particulièrement à ceux qui ont besoin
d’aide. Les Canadiens considèrent que l’équité est essentielle et ils partagent
le sentiment que nous avons une responsabilité les uns à l’égard des autres dans
une société démocratique fondée sur les principes de l’égalité, du respect de
la diversité et des droits humains. Les Canadiens reconnaissent que les droits
s’accompagnent de responsabilités. En raison de cette responsabilité
fondamentale, les Canadiens sont prêts à accepter et à appuyer un régime fiscal
progressif qui tient compte de la capacité des particuliers et des familles de
payer des impôts et qui exige des sociétés qu’elles partagent leurs profits de
façon adéquatement pondérée.
En insistant uniquement sur la réduction des
dépenses dans le cadre de ses consultations budgétaires sans solliciter d’opinion
sur le renforcement approprié des régimes fiscaux, le gouvernement fédéral renonce
à une importante source de revenus supplémentaires et perd une excellente
occasion de rappeler aux Canadiens l’importance des biens publics comme fondement
d’une société inclusive ainsi que le rôle du gouvernement à l’égard du
renforcement des services publics pour que tous les Canadiens – quels qu’ils
soient et quel que soit leur revenu – aient un niveau de vie acceptable et des
chances égales de réussir.